En effet, c’est ce qui a été décidé dans un arrêt du 22 décembre 2023, de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, qui a opéré un revirement de jurisprudence. Cette décision a été, ensuite confirmée par un récent arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation le 17 janvier 2024.

En effet, dans l’affaire du 22 décembre 2023, un responsable commercial engagé en qualité de responsable commercial « grands comptes » contestait son licenciement pour faute grave.

En appel, les juges avaient déclaré irrecevables les éléments preuves obtenus par la société au moyen d’enregistrements clandestins et les ont écartés des débats. Les Juges avaient ainsi conclu au caractère sans cause réelle et sèrieuse du licenciement.

L’employeur avait formé un pourvoi en cassation, en soutenant que « l'enregistrement audio, même obtenu à l'insu d'un salarié, est recevable et peut être produit et utilisé en justice dès lors qu'il ne porte pas atteinte aux droits du salarié, qu'il est indispensable au droit à la preuve et à la protection des intérêts de l'employeur et qu'il a pu être discuté dans le cadre d'un procès équitable ».

L’employeur soutient aussi qu’ « qu'en écartant des débats les pièces numérotées 7.3, 7.3b, 7.5 et 7.5b produites par l'employeur, qui démontraient que le salarié avait expressément refusé de fournir à son employeur le suivi de son activité commerciale, ce au motif erroné et insuffisant qu'elles ont été obtenues par un procédé déloyal et à l'insu du salarié, la cour d'appel a violé les articles 9 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».

La Cour de cassation évolue sa position et se met en conformité avec le droit européen

Elle opère à un revirement de jurisprudence.

En effet, autrefois, sur le principe de loyauté dans l'administration de la preuve, la Cour de cassation jugeait qu'était irrecevable la production d'une preuve recueillie à l'insu de la personne ou obtenue par une manoeuvre ou un stratagème (Ass. plén. 7 janvier 2011, n° 09-14.316).

Ce n’est plus le cas depuis la décision du 22 décembre 2023, dans laquelle elle rappelle désormais que:

« la Cour européenne des droits de l'homme ne retient pas par principe l'irrecevabilité des preuves considérées comme déloyales. Elle estime que, lorsque le droit à la preuve tel que garanti par l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales entre en conflit avec d'autres droits et libertés, notamment le droit au respect de la vie privée, il appartient au juge de mettre en balance les différents droits et intérêts en présence ». Elle ajoute que « l'égalité des armes implique l'obligation d'offrir, dans les différends opposant des intérêts à caractère privé, à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire ». Elle souligne que ce texte implique notamment à la charge du juge l'obligation de se livrer à un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuve des parties, sauf à en apprécier la pertinence pour la décision à rendre (CEDH, arrêt du 13 mai 2008, N.N. et T.A. c. Belgique, n° 65087/01) ».

La Cour de cassation rappelle également dans sa décision, qu’en matière pénale, « aucune disposition légale ne permet au juge répressif d'écarter les moyens de preuve produits par des particuliers au seul motif qu'ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale (Crim., 11 juin 2002, n° 01-85.559) ».

Enfin, la Haute juridiction souligne que : « la difficulté de tracer une frontière claire entre les preuves déloyales et les preuves illicites, et relevant le risque que la voie pénale permette de contourner le régime plus restrictif des preuves en matière civile, une partie de la doctrine suggère un abandon du principe de l'irrecevabilité des preuves considérées comme déloyales ».

La preuve obtenue de manière déloyale est recevable sous certaines conditions

Ainsi, par un tel arrêt, la Cour de cassation précise que la preuve obtenue de manière déloyale est recevable sous certaines conditions.

En effet, les hauts magistrats affirment clairement que :

« dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».

Ainsi, en l’espèce, selon la Cour de cassation, la Cour d’appel, qui a déclaré irrecevables les pièces litigieuses, après avoir relevé que celles-ci constituent des transcriptions d’enregistrements clandestins des entretiens, n’a pas procédé au contrôle proportionnalité et a donc violé les articles 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et 9 du code de procédure civile.

  • La confirmation de sa nouvelle jurisprudence par son arrêt du 17 janvier 2024 n°22-17474

Dans une autre affaire, un responsable commercial avait saisi la juridiction prud’homale en invoquant un harcèlement moral de son employeur dans le contexte de licenciement de son supérieur hiérarchique. Il avait été déclaré inapte et a été licencié pour inaptitude.

Devant la Cour d'appel, il a demandé que sa pièce, correspondant à la retranscription de l'entretien du salarié avec les membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la société (le CHSCT) désignés pour réaliser une enquête sur l'existence d'un harcèlement moral de l'employeur, soit déclarée recevable, que soit prononcée la résiliation judiciaire de son contrat de travail, subsidiairement, que soit prononcée la nullité de son licenciement comme étant consécutif à un harcèlement moral.

La Cour de cassation a rappelé que :

« Dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

En l’espèce, selon les Hauts magistrats, la cour d'appel qui a, d'une part relevé que le médecin du travail et l'inspecteur du travail avaient été associés à l'enquête menée par le CHSCT et que le constat établi par le CHSCT dans son rapport d'enquête avait été fait en présence de l'inspecteur du travail et du médecin du travail, d'autre part retenu, après avoir analysé les autres éléments de preuve produits par le salarié, que ces éléments laissaient supposer l'existence d'un harcèlement moral, faisant ainsi ressortir que la production de l'enregistrement clandestin des membres du CHSCT n'était pas indispensable au soutien des demandes du salarié, a légalement justifié sa décision ».

En somme, la Cour de cassation précise de manière intéressante dans son communiqué concernant notamment la décision du 22 décembre 2023 que : « les nouvelles technologies ouvrent aux justiciables des perspectives supplémentaires sur la façon de rapporter la preuve de leurs droits, mais elles présentent aussi des risques inédites d’atteintes à des droits fondamentaux (vie privée, secret professionnel etc.)

 

Dalila MADJID, Avocate au Barreau de Paris

Sources : 

  • Cour de cassation, Assemblée plénière, 22 décembre 2023, 20-20.648, Publié au bulletin
  • Cour de cassation Chambre sociale 17 janvier 2024 n°22-17474